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L'ours et l'enfant

Maturité du gamer


La maturité et la responsabilité du joueur sont, semble-t-il assez souvent éludées dans les aventures modernes qui maternent jusqu'à infantiliser un acteur déjà habitué à une franche léthargie dans la plupart des medias qu'il consomme en permanence. Le jeu ne devrait-il pas au contraire porter cette tâche responsabilisante à travers son interactivité ?

Récemment j'ai pris l'avion, rien de bien extraordinaire là dedans, je voyage seul et plutôt heureux de ne pas être accompagné. Premier de ma rangée j'attends avec un brin d'appréhension mes amis à usage unique des deux prochaines heures. Pas de bol : arrive une nana les bras remplis d'un bébé. Je me félicite d'avoir investit dans des écouteurs isolants et retourne à ma lecture des consignes d'évacuation pensant l'incident clos quand j'entends raisonner au loin la terrible question:
"Vous pouvez me la tenir?"

Je relève le nez de ma quête de la sortie de secours la plus proche pour voir la fameuse jeune maman visiblement débordée dans son opération de déchargement. Mais tenir quoi ? La sacoche ? La veste ? La revue ?
L'incompréhension devait être plutôt claire dans mon regard puisqu'elle a cru bon de répéter et préciser ce qui était de moins en moins une question et de plus en plus un guet-apens:
"Excusez-moi, vous pouvez me tenir la petite?"

"euhh..."

Si le commandant de bord m'avait demandé de lui tenir les commandes en plein vol j'aurais sans doute été moins hésitant (après tout je joue à Hawx, j'ai de l'entrainement non ?). Pas vraiment le temps de peser le pour et le contre (toujours pas convaincu qu'il y ait du pour d'ailleurs..), me voilà flanqué du mioche. Entre les paluches, engoncé dans une infâme grenouillère rose et de la taille d'un gigot pour famille nombreuse, le bébé remuait de toutes ses jambes et tous ses bras d'une manière légèrement stressante. Coup d'œil de détresse lancé aux alentours : personne ne semble se rendre compte de l'erreur de casting qui est en train de se dérouler et certainement pas la maman visiblement plus préoccupée par l'état de son kindle que par son rejeton hilare.
De toutes les personnes de cet avion, c'était donc à moi qu'elle avait jugé sûr de confier ce qui devrait être le plus important à ses yeux.

schwartzie



Sérieusement ? A moi gamer entêté, expert de la guitare en plastique et grand machinéaste des fonds marins ? Je ne fais généralement pas grand mystère de ma condition de grand gosse jusqu'en entretien d'embauche où j'admets volontiers ma fascination pour les jeux, les gadget technologiques, les jouets en tous genres, à mes différents professeurs de français qui désespèrent à l'idée que ma collection de Picsou magazine soigneusement archivés soit plus importante que mes trois romans qui se battent en duel, voire à mes correcteurs de philo qui savaient très vite que mes copies contenaient bien plus de références à Tarantino qu'à Aristote.
Et si la culture geek et les jeux en particulier permettent d'apprendre tout un tas de trucs et même, d'après Rodion, de remplacer un CV, force est de reconnaitre que rien de tout cela ne nous prépare vraiment à gérer une petite boule de peau souple et chaude. Et d'une manière générale rien ne pousse à une maturité exacerbée.

La plupart des jeux, des films, des livres, des séries prisés des nerds présentent pourtant des parcours initiatiques de personnages gagnant en maturité au fil de l'aventure. On pense au Seigneur des Anneaux, à Star Wars, à Shenmue. Pourtant les persos qui atteignent leur potentiel complet de maturité manquent souvent de folie, de peps, de charisme. Personne ne veut être Luke Skywalker, ce fade blondinet à la coupe surannée ou Ryo Hazuki qui frappe les malfrats le jour mais rentre chez ses parents dès que l'alarme de sa montre lui rappelle qu'il est dix heures passées. Le Roi qui fait son retour hérite de la responsabilité du Royaume et des emmerdes qui vont avec.

solo



La responsabilité est de plus une clé essentielle de la maturité des personnages, c'est également ce qu'on a le plus rapidement tendance à fuir: on préfère ce bad boy de Han Solo qui ne se sent pas responsable de l'alliance, on attend depuis dix ans le retour de Duke Nukem, le perso qui n'en à rien à péter, jamais. On suit les aventures de Master Chief, ce grand type à la voix douce qui ne rate pas une occasion de faire des conneries quand sa nourrice virtuelle est absente.
Et quand certains développeurs nous proposent de créer nos propres persos le resultat est régulièrement terrifiant d'irresponsabilité; il suffit de jetter un oeil au chien de MomoX dans Fable II ou la sexualité débridée de ma pouffe de l'espace dans Mass Effect pour s'en convaincre...

D'ailleurs les jeux à succès modernes reposent de plus en plus sur une des deux recettes de champions:
-Une large deresponsabilisation du joueur par un accompagnement constant (comprendre: une prise par la main permanente dans un couloir exigu où il est nécessaire de tuer tout le monde), le syndrome Call of Duty.
-Un système "bac à sable" qui favorise l'expérience et au final l'écartement maximal de la responsabilité prévue par le scenario (comprendre : on peut faire tellement de choses qu'on fini systématiquement et exclusivement par tout détruire), le syndrome GTA.

Deux cas qui excluent donc toute forme de responsabilité. Doit-on alors y voir un signe du temps? Les joueurs modernes ont-ils peur de la maturité qui pourrait en découler, et se réfugient dans des jeux qui leur proposent justement de n'avoir à assumer aucun choix ?

La responsabilité du joueur face à son œuvre a notamment été l'un des grands axes de réflexion des God Games en général et de Peter Molyneux en particulier. Leur importance provient justement du fait que l'orientation du joueur n'est pas un mécanisme de jeu (être gentil n'offre pas de possibilités très differentes), il n'y a pas de chemin précalculé neutre dont on s'éloigne en bien ou en mal, il y a la manière de jouer de chacun qui ne regarde que le joueur et son âme, et ça c'est absolument effrayant à la différence de tous les jeux plus récents qui intègrent une dimension morale souvent très manichéenne et qui mène régulièrement à un déroulement de jeu peu subtil (Heavy Rain, Double Agent...). C'est assez étonnant compte tenu du fait que le concept était particulièrement bien utilisé dans les différents Oddworld, jeux à la fois plus subtils et plus pervers qui offrent au joueur de sauver ou non les mudokons en esclavage. Aurais-je pu en sauver plus ? Aurais-je du ? Combien d'essais pour sauver un Mudokon avant de laisser tomber ? Un questionnement Schindlerien qui ne regardait que le joueur à une époque où la moindre de nos action n'était pas motivée par un stupide achievement à la clé. Une vraie réflexion s'exerçait et nous étions alors bien loin du massacre de civils proposé dans CoD 6 entièrement légitimé par une vision des choses toute américaine qui sentait le faisandé à des kilomètres...

mudokons


Mais le jeu peut également avoir une responsabilité générationnelle. Si Éric Viennot ne cesse de s'émerveiller devant les phrasques de ses marmots devant les écrans, il porte un regard assez intéressant sur la manière dont le jeu transforme la maturité de son fils ainé. Et alors que je rend le poupon à sa mère finalement débarrassée de ses 40 couches de vêtements et autres accessoires, je ne peut que penser à Penny Arcade pose aussi de plus en plus la question de la responsabilité générationnelle avec des gamer-parents qui se voient passer du côté des adultes qu'ils ont toujours refusé d'être. Après tout, c'est peut être ça la maturité du Gamer. Ou pas.

Jeu Vidéo | BlueHunter | 13 novembre 2010
tags : jeu, vidéo, video, games, tgo

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